Une toiture renaît de ses cendres

Crédit photo : Toiture magazine

Ce versant de la partie renaissance a été remis à neuf par Le Bras Frères.

LE CHANTIER DE RECONSTRUCTION DE L’HÔTEL DE VILLE DE LA ROCHELLE, RAVAGÉ PAR UN INCENDIE EN 2013, ARRIVE À SON TERME. DÉBÂCHÉE EN JUIN 2018, LA TOITURE D’ARDOISES A DÛ ÊTRE ENTIÈREMENT REFAITE. REPORTAGE.

Tel le phénix, l’hôtel de ville de la préfecture de Charente-Maritime renaît de ses cendres. Voici presque six ans, le 28 juin 2013, un spectaculaire incendie ravageait ce splendide édifice classé monument historique depuis 1861. Près de vingt-quatre heures furent nécessaires pour en venir à bout avant de constater les dégâts irrémédiables causés par les effets combinés du feu et de l’eau. La partie protégée au titre des monuments historiques (salle des fêtes, façade Renaissance, charpente et couverture) est fortement touchée : la charpente est consumée, la toiture n’existe plus, les façades sont déstabilisées… et on ne parle même pas de l’intérieur. Un véritable désastre pour ce symbole de l’indépendance de La Rochelle, qui reste actuellement le plus ancien hôtel de ville français en fonction – depuis 1298 ! Fruit de la succession des époques, le bâtiment se compose d’un mur d’enceinte gothique flamboyant datant du Moyen Âge, d’un pavillon édifié au XVIe siècle, d’un corps principal achevé en 1606 (partie Renaissance), du bâtiment des Échevins où s’est déclaré l’incendie, et d’un autre pavillon datant du XIXe siècle, construit à l’occasion d’une grande rénovation de l’édifice initiée par l’architecte Juste Lisch.

 

Reconstruction d’après photos

Une fois le traumatisme et les formalités administratives passés, le travail de nettoyage a pu débuter. Le chantier de reconstruction et de restauration a démarré en 2016. La façade de la grande galerie Renaissance, en cours de rénovation lors de l’incendie, ne s’était pas effondrée – probablement grâce à la présence de l’échafaudage. Des tirants et un plancher connecté sont venus la consolider. Dans l’attente des charpentes et des travaux de couverture, un vaste parapluie de 1 000 m2 a été installé afin de mettre l’édifice hors d’eau. Le feu ayant lourdement endommagé le pavillon des Échevins et la partie Renaissance, deux nouvelles charpentes ont été mises en oeuvre : la première, traditionnelle, en chêne sur le pavillon, et une en sapin lamellécollé au-dessus de la salle des fêtes. L’occasion pour l’architecte de prendre une liberté : les combles, non aménagés dans l’édifice précédent, accueilleront désormais une nouvelle salle des conseils municipaux, sans que cela altère l’aspect extérieur. « Tous les volumes extérieurs ont été refaits à l’identique», atteste d’ailleurs François Rousselle, chef de chantier chez Le Bras Frères, entreprise basée à Jarny (Meurthe-et-Moselle) et spécialisée en couverture de monuments historiques. L’architecte en chef des monuments historiques Philippe Villeneuve s’est fondé sur de nombreuses photos détaillées de l’ancien édifice pour en produire l’exacte réplique, à quelques détails près.

 

Un chantier en plusieurs étapes

Le chantier de couverture a débuté en septembre 2017, et s’est déroulé en plusieurs phases. La première, jusqu’à la fin de l’année 2017, a concerné les parties XVe et XIXe siècles de l’édifice. La deuxième, pour la partie Renaissance, a duré jusqu’à fin juin 2018 et a dû respecter un délai symbolique : la municipalité a demandé que le parapluie soit enlevé– et donc la nouvelle couverture d’ardoises révélée aux administrés – le 28 juin, soit cinq ans jour pour jour après l’incendie. « Cela ne veut pas dire que le chantier était terminé pour autant, nuance François Rousselle, mais que l’édifice était au moins étanche à l’eau. » Pour tenir cette limite « anniversaire », Le Bras Frères a envoyé une équipe supplémentaire. Pendant les travaux, 15 couvreurs en moyenne oeuvraient sur les toits, appartenant à deux entreprises distinctes : Le Bras Frères donc, et la société Alain Le Ny, basée à Dardilly en banlieue lyonnaise (Rhône). Les deux entités ont travaillé de concert et se sont partagé le chantier, notamment les tâches les plus délicates : « De notre côté, nous avions cinq lucarnes à traiter, détaille le chef de chantier de Le Bras Frères, tandis que côté Le Ny il y avait deux frontons couverts en plomb et un avant-corps avec noues à fendis… un découpage équitable en somme ! » Des lucarnes qui ont toutes été déposées en début de chantier et refaites à neuf.

 

Le souci de l’exactitude

Au total, environ 34 000 ardoises Renaissance SIN 150 de dimensions 30 x 20 cm pour 5 mm d’épaisseur, fournies par le fabricant allemand Rathscheck Schiefer, ont été posées sur les 750 m2 concernant les parties classées de l’édifice. « Le calepinage a été assez basique, mais le travail autour des lucarnes sortait davantage de l’ordinaire, explique François Rousselle. Avant l’incendie, la toiture comportait des noues à deux tranchis ; pour élancer les lucarnes, les noues sont désormais à un seul tranchis. J’aurais même préféré des noues rondes, mais le délai imposé nous a obligés à accélérer la mise en oeuvre. » Fixées à la pointe cuivre carrée crantée de 40 mm fournie par Connecton sur des pentes de 60 degrés, les ardoises ont été posées avec un pureau classique non dégressif de 10,5 cm de moyenne, avec renvers à tranchis et rives traitées en déversée à deux fendis. Les couvreurs ont aussi dû se pencher sur de nombreux petits ouvrages en plomb ou en zinc pour l’évacuation des eaux pluviales, « nos moutons à cinq pattes, comme il y en a sur toutes les toitures ». Le faîtage est quant à lui composé de cinq pièces de plomb, et a nécessité un travail particulier afin de retrouver la hauteur exacte d’avant l’incendie. « Les photos que nous avions n’étaient pas très précises, et nous n’avons pas réussi à trouver beaucoup d’indices sur la pierre encore en place ou le bois non calciné, développe le chef de chantier, nous avons donc dû faire beaucoup d’essais avec des rondins en comparant aux photos pour retrouver l’emplacement. » Les ornements ont également été restaurés à l’identique, puis dorés à la feuille d’or.

 

Des nouveautés

Repartir de (presque) zéro présente quelques avantages : l’édifice sera rendu conforme aux normes de sécurité et d’accessibilité, ce qui se révèle souvent ardu dans un bâtiment classé vieux de plusieurs siècles. Un ascenseur sera donc installé, et un système de ventilation-climatisation avec entrée et sortie de toiture a été mis en oeuvre. Bien intégré esthétiquement, il reste dissimulé aux regards du public, car posé sur un versant ne donnant pas sur la rue. Enfin, l’une des parties non classées a été reconstruite. Sous pare-pluie Dörken, elle sera recouverte d’environ 400 m2 de tuiles canal fournies par Edilians. Si le chantier de couverture est en cours de finalisation, la livraison définitive de l’édifice « comme neuf » est attendue pour la fin de l’année. Et La Rochelle pourra de nouveau s’émerveiller devant son hôtel de ville, le plus « ancien » de France.

 

Brice-Alexandre Roboam

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